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Plant Pictura

Vegetable powders with Damas' rose extract on cotton canvas

2022, 23,5 x 18 cm

↑ Sketches ↓

Sur quels territoires avons-nous atterri ? Paysages lunaires ou aqueux, les variations de textures qu’offrent ces peintures à base de poudres végétales s’apparentent tantôt à de la croûte terrestre craquelée, tantôt au limon soyeux d’un ruisseau. Du micro au macro, les fines particules végétales offrent un panel de couleurs rappelant les grandes étendues spatiales, et plongent le visiteur dans une exploration lunaire, presque cosmique.

Les fleurs d’hibiscus laissent apparaître un rouge intense, la spiruline dévoile un vert bleuté et profond, les pétales de rose déposent une texture poudrée et odorante sur la toile. Au-delà de la valeur esthétique de ces fines particules colorantes, les plantes dont elles sont extraites ont une signification symbolique. L’hibiscus par exemple, ou Bissap, est une plante utilisée dans de nombreux pays d’Afrique pour ses multiples vertus. Ce n’est au XVIIème siècle, avec la traite des noirs, que l’Amérique découvre ses bienfaits. La spiruline quant à elle, selon les colons espagnols, était un aliment consommé par les Aztèques, tandis que la rose, avant son exploitation en Occident, était déjà cultivée en Chine et en Perse durant plus de cinq mille ans. À l’image du café où du cacao, il existe un grand nombre de plantes dont l’histoire nous rappelle un passé tragique.

L’utilisation de ces végétaux comme soins et cosmétiques, évoque les principes de l’ayurveda, médecine savante d’Inde utilisant les principes actifs des plantes. Le corps, en ayurveda, est « le lieu et le produit d’une accumulation des humeurs et autres fluides organiques dont l’excès ou le défaut provoquent des maladies internes » (Zimmermann, 1989 : 119). Dans la série Plant Pictura, l’utilisation de l’eau sur les toiles rappelle des manifestations humorales mouvementées, que les végétaux adoucissent et magnifient. Intrinsèquement, le végétal, tout comme les débordements émotionnels sont liés au féminin. Systématiquement, ces forces ont été maîtrisées et cadrées violemment par les hommes. En effet, soumises au double rôle de l’esclave et de la soignante, à la fois de la maisonnée, du mari et des enfants, les femmes de divers horizons ont longtemps été des gardiennes d’une part importante des savoirs traditionnels en matière de plantes médicinales.

C’est donc sur un territoire tumultueux mais bienveillant que l’artiste nous propose d’entrer. Alors que certaines toiles sont disposées seul, multiple, en retable ou en diptyque, d’autres surplombent le regardeur par leur taille imposante. Ainsi disposées, dévouées à la contemplation, les toiles révèlent un espace olfactif et vivant, presque sacré. Une véritable invitation à se questionner sur les savoirs oubliés et le pouvoir féminin, au cœur de la matière végétale.

Il est vrai que de présenter des toiles de peinture uniquement de rose semble simpliste, féminin et poétique. La rose est une fleur commune, mais peu connu pour être une des fleurs les plus anciennes de notre monde, et en particularité la rose de Damas. Issu de plusieurs croisements, elle est rapportée de Perse par le Chevalier Robert de Brie à l’époque de son retour des croisades vers 1254. À sa venue en Europe, elle se répand dans l’Occident et la rose devient avec les siècles une fleur appréciée. Déjà à l’époque, c'était une fleur connue pour des remèdes et son parfum est utilisé pour les produits cosmétiques, ménagères. Alors oui, les toiles de rose sont esthétiques, il y a ce libre choix qu’elles soient abstraites pour pouvoir laisser libre au spectateur de s’y plonger. D’habitude on demande de garder une distance avec les toiles. Mais la série plant pictural invite celui qui contemple la toile, de s’approcher et s’imprégner du parfum. L’œuvre est olfactive.

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